Vraiment Moi ?...

ou masque social ?

05 Juin 2019

Une expérience a été menée pour identifier la différence de conséquence entre être aimé pour ce qu’on est, et être aimé pour ce que l’on fait. 

Comment a-t-on procédé ? 

Deux personnes ont été soumises successivement au même jury. Il a été demandé à chacune de ces deux personnes d’exposer individuellement et comme elles le voulaient, sans protocole imposé, qui elles étaient en racontant leur vie : parcours, expériences, études, compétences, passions, traits de caractère, goûts, valeurs, etc… A l’une (au hasard), on a dit « Bravo, le jury a beaucoup apprécié votre personnalité et ce que vous êtes, vous êtes invité à passer un dernier test de culture général… une formalité, vous verrez ! » (test en effet très facile). A l’autre, on a dit (presque) la même chose « Bravo, le jury a beaucoup apprécié vos compétences et votre parcours, vous êtes invité à passer un dernier test de culture général… une formalité, vous verrez ! » Et bien, figurez-vous que le second a complètement raté le test ! Cette expérience démontre qu’être aimé pour ce qu’on fait est autrement plus angoissant et nettement moins sécurisant que d’être aimé simplement pour ce qu’on est, et que c’est en étant aimé pour ce qu’on est qu’on est capable de donner véritablement le meilleur de soi…

Etre aimé pour ce qu’on fait n’apporte absolument pas la même satisfaction que d’être aimé pour ce qu’on est. 

Oui mais on joue tous parfois un personnage. Ce personnage s’appelle en psychologie le « faux-self » chez le pédopsychiatre Winnicott ou la « persona » chez le psychiatre Jung. Ces deux concepts se rapprochent globalement par ce qu’ils définissent. (Dans cet article faux-self et persona seront utilisés comme des synonymes)

Dans toutes les personnalités cohabitent un « vrai Moi » (qui je suis intrinsèquement) et une persona (un personnage). Le « vrai Moi » est ce qu’il y a d’authentique chez un individu, sa véritable nature, sa singularité, son unicité, mais aussi toute sa complexité. Ce « vrai Moi » est poussé par ses aspirations, son intuition, ses besoins.  La persona est un masque social que l’on porte par moment et qui permet de vivre en société : la politesse, le respect, une certaine retenue, la bienséance … Ce masque est le résultat de notre éducation. C’est un aspect de notre personnalité « sous contrôle », tout en retenu, qui permet de s’adapter à l’environnement et de vivre en société.

Comme le définit Christel Petitcollin, « le faux-self est un vernis de politesse », son rôle est simplement de nous permettre d’évoluer et de nous exprimer dans la société tout en respectant ses règles, ses codes de conduite et en renvoyant un comportement acceptable sans pour autant bafouer le « vrai Moi » dans l’expression et la réalisation de ses besoins et aspirations. Le faux-self est une sorte de parade sociale qui vise à défendre et protéger les besoins et intérêts du « vrai Moi » (notre authenticité) sans compromettre notre intégration sociale. En résumé, le faux-self c’est ce qui permet à Bénabar d’échapper au dîner par « On appelle, on s'excuse, on improvise, on trouve quelque chose » et en évitant de dire « On n'a qu'à dire à tes amis qu'on les aime pas et puis tant pis. » La chanson « Le dîner » de Bénabar illustre parfaitement le tiraillement qu’il peut exister parfois entre les besoins de notre « vrai Moi », de notre nature en quelques sorte (ici, pour Bénabar : je suis fatigué, j’ai besoin de m’isoler), et la dictature de la persona quand elle déborde de son rôle.

Comment se fait-il que la persona puisse sortir de son rôle de simple garde-fou social ?

Lorsque l’individu est, dès son plus jeune âge, réceptionné et aimé dans ce qu’il est spontanément (même dans ses colères, tristesses, faiblesses, bêtises, échecs…), qu’il ressent l’accueil et les réponses de son proche entourage (parents, éducateurs, enseignants…) comme sécurisantes et satisfaisantes pour lui, il développera une relative bonne confiance en son environnement et pourra étayer une bonne confiance en lui tel qu’il est authentiquement. Il ne se sent pas menacé et par conséquent, il n’est pas nécessaire de mettre en place un système de défense ou de contrôle. Par contre, un individu ne bénéficiant pas d’un environnement familial et éducatif aussi satisfaisant mais, au contraire, plutôt ressenti comme angoissant et indisponible, va devoir s’adapter et avoir recours à un système de contrôle et devenir celui qu’on attend de lui. Pour faire court (et simpliste), l’enfant pense que c’est strictement de son fait s’il n’est pas accueilli et aimé comme il aurait besoin de l’être et il considère que sa nature n’est pas « aimable », donc il va la contenir et créer le personnage qu’il imagine que les autres attendent de lui. Et ce personnage, c’est souvent un petit enfant bien sage, sérieux, travailleur, qui coopère (voire collabore au sens historique du terme) aux exigences parentales et éducationnelles.

Toutes les constructions psychiques contiennent un « vrai Moi » et une persona, néanmoins la cohabitation entre ces deux instances ne s’opère pas de la même façon chez tout le monde.

Certains environnements familiaux ou-et éducatifs ayant leur propres difficultés, certains schémas parentaux trop autoritaires, des enfances malheureuses ou défavorisées, un entourage agité ou indisponible au développement de l’enfant, et l’enfant ne peut pas se construire dans son authenticité. L’enfant comprend qu’il ne peut pas être accueilli dans ce qu’il est. Son « vrai Moi » va être étouffé (ou plutôt : il va étouffer son « vrai Moi ») pour laisser toute la place à une persona(lité) qui sera en mesure de ne répondre qu’aux supposées attentes extérieures. C’est ce faux-self qui est mis en première ligne pour faire défense et lui permettre de se construire dans son environnement, au détriment de qui il est vraiment. Le faux-self vient en quelques sortes s’exposer pour protéger le « vrai Moi » qui reste en retrait puisqu’il ne semble pas pouvoir être accueilli dans cet environnement qui lui parait hostile et inhospitalier. C’est un mécanisme de défense salutaire dans un premier temps, qui demande de la ressource et de l’énergie, mais qui, à la longue deviendra extrêmement épuisant et inconfortable.

Les symptômes les plus fréquents à l’âge adulte sont la grande fatigueje me sens exsangue » me confiera une patiente), le sentiment d’imposture et le doute. Ne pas se sentir à sa juste place, accorder extrêmement d’importance à la réaction et à la satisfaction des gens, avoir le sentiment de ne jamais faire assez bien, de toujours pouvoir et devoir mieux faire… 

Le fait est que le sujet est surtout fatigué d’être une imposture de lui-même. 

En jouant le persona(ge), le sujet a l’impression de se mettre en conformité avec ce qu’on attend de lui et de satisfaire son public, heu... entourage, tout cela pour satisfaire in fine le besoin vital inhérent à tout être humain :  celui d’être aimé. C’est la parade qu’il a mis en place dès l’enfance pour se protéger de la peur d’être rejeté, abandonné, incompris ou moqué. Etre aimé pour ce que je fais à défaut d’avoir un entourage en capacité de m’aimer pour ce que je suis…

En focalisant de cette manière sur les attentes des autres, il en oublie d’accueillir sa vraie personnalité, son vrai ressenti et continue à l’étouffer, parfois en conscience. Il a ou n’a pas envie de faire quelque chose mais va faire le contraire de ce à quoi il aspire, sinon il sera rattrapé et tiraillé par l’impression de mal faire et de désobéir à une instance supérieure : terminer un livre ou un film qui ne lui plait pas, rester à une soirée où il s’ennuie profondément, se maintenir dans une relation ou un travail insatisfaisant… 

Peut-on vraiment être heureux de cette manière ?

Si le sujet méprise les alertes de fatigue et d’inconfort, il y aura un point de rupture quand le faux-self aura complètement avili voire cannibalisé le « vrai Moi ». L’individu est devenu le personnage, c’est devenu une seconde nature, il ne sort plus du rôle, donc il joue ce personnage de manière complètement inconsciente (comme il respire…).

Ce personnage peut avoir brillamment réussi son intégration dans la société et même susciter l’admiration. C’est le cas de pléthore de personnes publiques (stars de la chanson, du cinéma, de la politique, du business…) qui souffrent souvent d’une enfance insatisfaisante quand on creuse. C’est exactement ce qui est décrit dans le film « Rocketman » de Dexter Fletcher, biopic sur la vie d’Elton John. Enfant et adolescent complexé et mal-aimé et incompris par ses parents (rejeté par son père), Reginald Dwight trouvera la reconnaissance grâce à la musique. « Faut tuer l’homme que tu étais pour devenir celui que tu veux être » lui prodigue-t-on comme conseil pour trouver son public. Puis, quand la star commencera à perdre pied dans les excès en tout genre, il prendra conscience que « Les gens ne paient pas pour voir Reginald Dwight, ils paient pour voir Elton John ! ». Il n’est pas aimé pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il fait, pour le personnage fantasque qu’il propose. Au fur et à mesure du film, alors qu’Elton John raconte sa vie lors d’une séance aux Alcooliques Anonymes, on le voir retiré petit à petit son costume de scène, pour terminer en jogging. Grâce à la thérapie, il retire le costume du persona(ge) pour aller à la rencontre de son "vrai Moi" et l'accueillir... Mais je ne veux pas spoiler le film!

Bref, à trop essayer de plaire aux autres, on risque de s’éloigner dangereusement de ce qu’on est intrinsèquement, et ça devient viscéralement inconfortable. 

La bonne distribution des tâches entre persona et « vrai Moi » est essentielle à notre équilibre psychique, à notre bien-être et à notre intégration sociale.  Si nous avons grandi dans un environnement qui nous a poussé à développer une persona prédominante, c’est un fait et cela a sans doute était notre tuteur de résilience à l’époque. Néanmoins cette posture défensive et énergivore n’a plus lieu d’être à présent puisque la menace n’existe plus (on ne maintient pas un état d’alerte perpétuellement : c'est trop lourd et ça n’a pas de sens), nous ne sommes plus un enfant vulnérable soumis aux attentes et injonctions éducationnelles. Il est nécessaire de revenir à un mode de fonctionnement plus écologique et authentique, en alignant nos actes avec nos propres besoins et propres aspirations, tout en respectant l’écologie sociale dans laquelle nous évoluons. 

La première étape est la prise de conscience, puis l’acceptation et se rééduquer en s’écoutant et veillant à ne jamais s’oublier Soi.

"Quand tu dis "oui" aux autres, sois sûre que tu ne dis pas "non" à toi même."  - Paulo Coelho.