Si j'écoutais ma colère...

Je pourrais me réparer.

23 Octobre 2018

Entre raison et cœur, nous oscillons en permanence mais la raison l’emporte souvent. Pourtant on entend tous parfois une petite voix qui nous souffle « tu ne devrais pas accepter ceci… », « tu devrais te reposer… » Ecouter cette petite voix nous oblige à désobéir et à nous mettre en marge de la rationalité. Imaginez une conversation avec votre banquier alors que vous sollicitez un prêt pour lancer votre activité : « Pourquoi vous lancez-vous dans telle activité ? », et vous répondez « Beh parce que je sens que je dois le faire… » Mouais… 

Vous percevez bien que dans la vie quotidienne ce genre d’argument est moyennement reconnu donc la raison l’emporte et nous avons tendance à tout vouloir rationaliser, et à toujours raisonner. Pourtant nous ne sommes pas que raison, nous sommes aussi émotions, et nos émotions sont de notre côté, même si elles sont souvent bafouées, réprimées, tues, contenues et malmenées de diverses façons.

La plus mal-aimée de nos émotions est sans doute la colère. Combien de fois avons-nous contenu, retenu, voire retourné notre colère contre nous ou contre une cible « plus facile » mais innocente ?

Pourtant la colère est une émotion qui vise à nous réparer. Isabelle Fillioziat, psychothérapeute, dans son livre « Que se passe-t-il en moi ? » décrit très bien cette émotion et son utilité pour rétablir et préserver notre intégrité. Je vous livre son explication :

On ressent de la colère lorsque l'on se sent victime d’une injustice, lorsque l’on ressent une atteinte de l’autre comme un coup, une blessure, lorsque l’on vit une situation comme une frustration

Imaginons que nous soyons un beau rond : parfois, l’autre vient déformer notre rond, parfois sans en avoir conscience ou par maladresse, et nous sommes cabossé.

L’énergie mise à disposition par notre émotion de colère vise à nous réparer et rétablir notre beau rond, c’est à dire notre intégrité. L’énergie de la colère a pour objectif de réparer la bosse en nous provoquée par l’autre, à gérer notre blessure, notre frustration. L’énergie de la colère ne sert pas à blesser l’autre, mais à nous réparer nous. La colère témoigne d’un besoin de réparation, le message qu’elle envoie est : « Attention, attention, nous avons été percuté et endommagé… Besoin de réparation imminent. » La colère nous envoie de l’énergie pour nous encourager à dire à l’autre ce qu’il a provoqué en nous, à lui énoncer notre besoin de réparation. La colère se libère simplement en exprimant posément et à la première personne du singulier ("je ressens..." "j'ai mal quand..." "j'ai besoin que...") ses besoins à la personne qui nous a touché. 

La colère saine n’est pas vengeance ou violence.

Or, notre éducation (et certains préceptes spirituels mal interprétés) nous laissent à penser que "ce n’est pas bien" de se mettre en colère. On méprise souvent la colère en la qualifiant parfois de caprice et on la caricature avec un petit bonhomme tout rouge qui fulmine. Mais même le Dalaï-Lama ressent parfois de la colère ! A la question « Si j’ai encore des émotions ? », Matthieu Ricard, moine bouddhiste répond « Je suis vivant, que je sache ! ». Étymologiquement, du latin emovere, l’émotion est « ce qui met l’esprit en mouvement », donc, ne pas tenir compte de ses émotions, c’est traverser la vie en mode zombie.

Or en n’exprimant pas cette colère, nous nous imposons une double peine. D’une part, nous restons cabossé, et en plus, on doit produire un effort pour contenir une énergie qui pousse et ne demande qu’à sortir.

Les jours passent et nous allons recevoir d’autres coups qui vont faire d’autres bosses vers l'intérieur et mettre à disposition d’autres charges d’énergie de colère… Plus le temps passe et nous contenons nos colères, moins on ressemble à ce beau rond du départ. On devient une forme parsemée de concavités, de failles dans lesquelles les « agresseurs » peuvent venir de plus en plus facilement se nicher. D’où le sentiment d’accumuler les ennuis, les insatisfactions lorsque l’on n’exprime pas sa colère

En accumulant les micros-colères, nous accumulons aussi de l’énergie centrifuge qui ne demande qu’à réhabiliter le beau rond. C’est épuisant de contenir cette énergie, d’où une sensation de fatigue malgré une hygiène de vie correcte. 

Retenir un, deux, puis trois, quatre, etc. sentiments risque de les transformer en ressentiments. L’accumulation de sentiments de colère peut engendrer des ressentiments, et l’énergie contenue risque un jour d’échapper à notre contrôle et devenir violence et agressivité qu’on ne maîtrise plus.

L’invitation est de vider sa collection de colères pour repartir sur une bonne base (un beau rond). Quand l’énergie est trop forte, on peut choisir de la décharger d’abord physiquement, et en conscience, en tapant sur un coussin ou dans une balle de squash, en fendant du bois, en déchirant frénétiquement des magazines, en tapant dans un punching-ball… 

Pour l’écologie de soi, il est important de ne pas laisser nos émotions de colère bloquées. Nous devrions les accueillir au fur et à mesure, et utiliser leur énergie pour préserver notre intégrité. Il est légitime d’exprimer à une personne et avec justesse qu’elle nous a percuté, blessé, frustré. Exprimer ce qu’on ressent permet la réparation: c’est prendre soin de soi, veiller à son écologie personnelle.

Article inspiré du livre d'Isabelle Filliozat "Que se passe-t-il en moi?", chapitre 7: "La fonction et l'expression des émotions".