Pardonner
Suffit-il de décider...?
Pardonner ne se décide pas. C’est un peu comme "être heureux" ou "faire le deuil". On ne décide pas d’être heureux, on fait en sorte de tendre vers notre bonheur en ajustant nos choix de vie, puis un jour, une minute, un instant on se sent heureux, et on ressent comme un instant de grâce. Pardonner est du même ordre : c’est un processus dans lequel on s’engage et un jour, on se rend compte qu’on a pardonné.
Qu’est-ce que pardonner ?
Il y a autant de définitions du pardon que de personnes. Nous avons chacun une vision personnelle du pardon, en fonction de notre éducation, de notre religion ou de notre culture. Factuellement, le pardon est avant tout la guérison d’une blessure du cœur (ou de l’âme, comme vous préférerez….). Votre cœur a été blessé par le comportement, la parole de quelqu’un, vous souffrez et vous en voulez à cette personne. C'est une souffrance teintée de haine, de ressentiment, de colère, de frustration et parfois même nuancée de culpabilité quand il s’agit d’en vouloir à une personne proche de nous (nos parents, notre partenaire de vie ou nos enfants en particulier).
On considère souvent à tort que pour pardonner, il faut que la personne à l’origine de notre blessure nous demande pardon.
Imaginons que vous vous fassiez physiquement agresser dans la rue par un inconnu qui prend aussitôt la fuite. Avez-vous besoin de l’intervention de votre agresseur pour que vos blessures physiques guérissent ? Bien sûr que non !
Vous allez accepter d'être pris en charge par une unité de soin, vos blessures vont être soignées et votre corps va s'auto-réparer, aidé par les soins que vous allez lui apporter.
La plaie sera nettoyée (aïe, ça pique!), puis vous cicatriserez. Donc, vous n’avez pas besoin de l’intervention ou de la présence de votre agresseur pour que votre blessure cicatrise ou que l'os de votre jambe se ressoude. Par contre, il est indispensable de prendre la responsabilité de reconnaitre la souffrance que vous ressentez et de la prendre en charge. Si vous ne reconnaissez pas avoir mal et repartez avec votre jambe cassée ou votre plaie à vif sans apporter de soins, la blessure risque de s'aggraver, de s'infecter un peu plus... voire dégénérer.
Il en va de même pour les blessures du cœur ou de l’âme.
Nous n’avons pas besoin de notre agresseur pour en guérir. Le pardon c’est accéder à cette cicatrisation de l’âme. Bien évidemment, il y a des blessures qui cicatrisent mieux que d’autres, plus ou moins rapidement, avec plus ou moins de soins nécessaires… Il existe de belles cicatrices, pratiquement invisibles, mais la plupart des cicatrices ne sont jamais vraiment indolores, et certaines resteront même toujours un peu boursouflées…
A l’image d’une blessure physique, le processus de pardon commence par le nettoyage de la plaie.
Le premier acte du processus est de décider de ne plus souffrir en mettant de la distance (physiquement, géographiquement) avec la personne ou la situation responsable de cette souffrance. Sachant que cette mise à distance en elle-même ne suffit pas, elle n’est que le point de départ du processus de pardon.
Il ne faut pas confondre mise à distance et posture d’indifférence dans laquelle certaines personnes se posent. Se maintenir dans la situation qui fait souffrir ou en relation avec la personne qui nous a blessé en faignant l’indifférence est avant tout un leurre qui ne contribue qu'à surinfecter la blessure de l'âme, et surtout une trahison envers soi-même qui peut s’avérer un jeu dangereux pour soi en installant un clivage entre mental et ressenti.
Cette mise à distance participe à la reconnaissance que la faute existe. C’est comme si nous prenions du recul sur les faits et que nous les observions objectivement, sans complaisance. De par cette observation, une émotion de colère va sans doute apparaitre.
Il s’agit de la seconde étape: accueillir et laisser s’exprimer cette colère saine, et peut-être dans cette phase, il est nécessaire de se faire accompagner d’un thérapeute. Livrer sa colère brute à la personne qui nous a blessé n’est pas nécessaire et même rarement constructif. Exprimer notre colère (à un thérapeute, à un tiers, par écrit...) est comme nettoyer notre plaie, laisser sortir le pu, percer l'abcès. Une fois de plus, nous n’avons pas forcément besoin de notre offenseur pour le faire. Il peut aussi alors émerger, associé à cette colère, un sentiment de culpabilité. Il est indispensable de s’en défaire. Lorsqu’on a été victime d’une agression ou d’une maladresse, on a tendance à inverser les rôles... Or on n’est pas coupable, on est la victime! Une fois de plus, un psychothérapeute vous aidera dans ce processus à faire preuve de discernement.
Une fois les premiers secours donnés, on passe à la troisième étape et nous pouvons commencer à décortiquer ce qui s’est passé et comprendre la personne qui nous a blessé : qu’est ce qui l’a poussé à agir (ou ne pas agir !) de la sorte ? à nous dire de si vilaines choses ? à commettre cet acte ?... Souvent son comportement trouve ses racines dans son histoire personnelle, dans ses propres souffrances.
Comprendre les raisons de son agissement permet d’expliquer ce qu’il s’est passé mais ne l’excuse pas. Cela peut éventuellement constituer une sorte de circonstances atténuantes, mais n'affranchit pas le coupable de sa responsabilité.
A partir de ce moment-là, une fois que la plaie est nettoyée (colère sortie et culpabilité désamorcée) et qu’on a compris ce qui a poussé l’autre à agir de la sorte, on entre dans la dernière phase: la phase d’acceptation et la suite du processus n’est plus de notre ressort. Maintenant, il va falloir lâcher prise et laisser le temps faire son œuvre. Que cela signifie-t-il ?
Accepter ne signifie pas être d’accord et cautionner ce que l’autre nous a fait, l’acceptation n’est pas se réjouir de ce qui arrive, mais constater que c’est là : constater les faits, ses potentielles causes et les conséquences qu’ils ont eu sur moi. Accepter que telle parole m’ait profondément blessé, accepter que telle attitude m’ait fait souffrir, accepter que tel manquement m’ait bafoué…
Nous ne sommes pas responsables de ce que les autres nous font, cependant, nous sommes responsables de ce qu'on en fait.
Une fois ce constat établi, on arrête d’y penser, on laisse reposer et on reprend le cours de sa vie comme on l’entend et on laisse le temps faire son œuvre…
Et un matin, peut-être, on le sait, on le sent : on a pardonné.
C’est une voix intérieure qui nous le susurre. Avant cet instant de grâce qui arrive après quelques mois ou quelques années, ou pas !, tout passage en force peut s’avérer carrément contre-productif, comme si on triturait une cicatrice trop fragile.
Comprendre et pardonner permet de sortir de la répétition et éviter que des situations similaires ne se reproduisent. Pardonner n’induit pas systématiquement la possibilité de se réconcilier avec la personne qui nous a offensé. Pardonner à son agresseur ne dispense pas, par ailleurs, que justice soit faite : Alors que son neveux, Maurice Boiteux, avait voulu la tuer pour hériter prématurément, Yvette Boiteux 93 ans, déclarera au Président lors du procès: « Je viens vous dire que j’ai pardonné à Maurice, je fais confiance à tout le monde ici pour choisir un jugement juste, c’est tout.» Elle le déshérite par ailleurs pour léguer ses biens à des associations philanthropiques et pour la protection animale.
Même si il est, bien évidemment, beaucoup plus aisé de pardonner à une personne qui reconnait ses torts et sa part de responsabilité, le pardon est surtout une cicatrisation personnelle de notre blessure, pour que notre cœur ne boite plus : c’est donc une réparation à Soi.
Ne vous y trompez pas, le pardon ce n’est pas :
- Etre amnésique : "Allez, oublie ça ! "
- Minimiser ou dénier ce qui s'est passé : "Tu ne vas pas bouder pour si peu ! "
- Faire copain et se réconcilier : "On boit un coup ou je t’offre un cadeau et ça annule ce que je t'ai fait."
- Cautionner: "C'est vrai, après tout, ce n'est pas si grave ce qu'il m'a fait..."