Fatigué de la culpabilité ?

Renoncer à la "Toute-Puissance"

09 Décembre 2020

La culpabilité nous gâche souvent la vie et nous fatigue. 

C’est à cause d’elle que nous acceptons parfois (souvent?) de faire des choses que nous ne souhaitons pas réellement faire, et parfois en nous sentant même obligés de devoir les faire sans avoir la possibilité de nous y soustraire. 

La culpabilité pointe le bout de son nez au moment où on dit "Oui" car les conséquences de dire « Non » seraient ingérables, même si pourtant la demande ou l'attente de l’autre à notre égard n’est pas légitime et que tout crie " NON ! " à l’intérieur de Soi. 

Comment se libérer de la culpabilité ?

Tout d’abord, il est important de faire la différence entre « se sentir coupable » et « être coupable ». 

« Être coupable » renvoie à des faits objectifs et concrets : Je suis coupable d'avoir manqué de respect en insultant une personne, par exemple, et en cela une demande de réparation pourra être faite par la victime.

« Se sentir coupable » est de l’ordre du subjectif et souvent même de l’irrationnel : c’est un jugement expéditif (Coupable !) que nous nous rendons arbitrairement à nous-mêmes, sans prendre le temps de rationnellement étudier le dossier.

Les notions de responsabilité et de culpabilité sont très liées dans notre psychisme. La responsabilité c’est l’obligation ou la nécessité morale de répondre ou de se porter garant de ses actions ou de celles des autres. La culpabilité un jugement qui renvoie à la notion de faute, d’infraction. 

Dans notre construction psychique, le sentiment de responsabilité s’enracine dans les premières années de notre vie à travers ce que les psys nomment le « Syndrome de Toute-Puissance ». 

Lorsque le bébé arrive au Monde et vit ses premiers jours, il est incapable de concevoir l’idée que ce Monde existait avant qu’il n'arrive. Il estime que ce Monde s’est créé avec lui : il est donc propriétaire et responsable de ce Monde en quelque sorte ! Et puis c’est un Monde où tout tourne autour de lui, de son bien-être et de sa satisfaction : il lui suffit de pleurer pour que l’autre s’intéresse à lui et se préoccupe de ses besoins. C’est cela qui fonde son Sentiment de Toute Puissance. Ce sentiment se renforce plus ou moins selon l’attention et la dévotion qu’on lui porte : il pleure, on accourt... De ce point de vue, on ne peut que reconnaitre une forme de « Puissance » du bébé sur l’adulte… Quand vous avez 30 ou 40 ans, quelqu’un accourt-il à votre service lorsque vous faites une grosse colère ?... Bien sûr que non...

La raison est que cette « Puissance », ce super-pouvoir, va s’affaiblir au fur et à mesure que les années passent. En effet, en avançant dans l’âge, le nourrisson, puis le bébé, puis l’enfant, puis l’adolescent sera considéré par l’adulte comme de moins en moins dépendant de lui, de plus en plus autonome car il acquiert des connaissances et des compétences, et l’enfant devra donc de moins en moins compter sur le parent (ou autre adulte) pour satisfaire ses besoins et installer son bien-être. C’est en général à partir de 3 ans que la réalité vient poser une limite à cette « Puissance ». Les parents et éducateurs arrêtent petit à petit de satisfaire l’enfant à la moindre pleure. L'enfant expérimente la frustration. Des limites sont posées à l’enfant et ces limites permettent à l’enfant de relativiser  et dégonfler sa Toute-Puissance. L’enfant est en général fort mécontent et réplique avec le « Non ». Cette situation est tout à fait saine puisqu’elle permet à l’enfant de comprendre qu’il n’est pas le centre de ce monde, de s'extraire de cette idée, même si, cela le frustre énormément car il y perd beaucoup d’avantages… comme le "je pleure, on accourt".

Toutefois il arrive, par des circonstances de la vie (parents permissifs, père absent, ou parents hyper-exigeants…) que ce cadre ne soit pas correctement posé :

- laisser l’enfant trop faire ce qu’il veut sans poser de limites, 

- sous-entendre et laisser croire l’enfant qu’il est responsable de ce qui l’entoure : « Sois sage sinon ça contrarie ta mère et elle va être triste ou partir dans une grosse colère… »

Dans ces contextes-là, l’enfant est renforcé dans sa Toute-Puissance (= « je suis à l’origine de ce monde »). Quand l’enfant grandit en restant au centre du Monde, et comprend le Monde dans sa globalité et sa cruauté (misère, famine, guerre, …) ou à l’échelle de la famille en percevant les dysfonctionnements familiaux (père qui crie, mère qui pleure, parents qui se disputent violemment, maladie de la grande sœur, …), il pense alors qu’il est responsable des conséquences de ce Monde et de tous ces malheurs. Donc, pour bien faire, il veut réparer. L’enfant se prend en quelque sorte pour Dieu. Être Dieu a sans doute des avantages et des privilèges (on est vénéré, on fait la pluie et le beau temps…), mais Dieu est aussi le premier désigné responsable et coupable quand tout va mal.

L’enfant, comme Dieu, a la responsabilité d'en assumer les conséquences…

La Toute-Puissance de l’enfant engendrera la Toute-Culpabilité de l’adulte qu'il sera. Puissance et culpabilité sont les 2 côtés d'une même médaille, un peu comme les droits et les devoirs, la vie et la mort, l'un ne va pas sans l'autre.

L’adulte-coupable est convaincu d’avoir la capacité, la légitimité voire même le devoir de contrôler les choses et les personnes qui l’entourent. Par conséquent, il ne veut pas reconnaitre l’autonomie des autres, et se sent responsable d'eux et de leurs états d'être. Pour le bien des gens qu'il aime, il est souvent fort despotique et se place en modèle de référence: leur manière de faire est la meilleure ("Fais comme ça je te dis, c’est mieux"), leur goût est la norme ("Tout le monde aime le chocolat!"), leurs priorités sont universelles ("L'argent c'est le nerf de la guerre!")...

Parfois, certains se sentent coupables d’avoir une vie douce sans problème d’argent par exemple. Mais de quoi sont-ils coupables au juste ? N’est-il pas dans l’ordre des choses d’avoir une vie douce et sereine ? Objectivement, ils sont coupables de rien! Mais puisqu’ils sont dans la « toute-puissance », ils se sentent surtout responsables (et donc coupables) de ne pas être en capacité de rendre l’existence des autres tout aussi douce. 

Il est vain de lutter frontalement contre la culpabilité, car tout ce contre quoi on lutte ne fait que se renforcer. Lutter contre la culpabilité ne fera que renforcer le besoin de contrôle. Par contre, lorsque le sentiment de culpabilité émerge, lorsque le jugement arbitraire et expéditif « COUPABLE ! » est posé,  il est nécessaire de faire appel et de refaire un vrai procès, en se posant la vraie question « En quoi je me sens responsable de… » et en y répondant en étudiant les pièces du dossier. Souvent, on se rend compte que les charges sont bien maigres que le verdict de culpabilité était une erreur judiciaire !

En procédant de cette manière, nous allons quitter l’idée qu’on puisse être Dieu qui contrôle tout l’univers et détient la Vérité. Nous allons descendre et nous positionner dans notre humanitude, avec ses limites, ses imperfections, ses failles et observer où s’arrête objectivement notre responsabilité, notre capacité de contrôle et où commence l’ingérence. Il s’agit par-là de reconnaitre aux autres leur capacité respective à être responsables de leur propre existence. On peut aider, être solidaire, accompagner, mais on ne peut pas prendre l’autre en charge, on ne peut pas priver l’autre de la responsabilité de son existence, de sa souveraineté. Cela constitue une ingérence grave.

A chacun de reconnaitre inconditionnellement la capacité, responsabilité et liberté d’agir de l’autre, compris celle d’agir pour contribuer à son propre malheur…